Écoles de commerce : étudiants ignorés, à quel prix ?

Depuis plus d’un an, les étudiants en écoles de commerce suivent leurs enseignements à distance. S’ils ont réclamé, à plusieurs reprises, une baisse des frais de scolarité, ils se sont vus inquiéter d’obtenir leurs diplômes par leurs propres écoles. 

Camille* cumule plus de 100 000 abonnés sur Instagram et Youtube. Outre sa vie d’influenceuse au sein de la cité phocéenne, elle étudie à Kedge Business School. Régulièrement, elle partage avec sa communauté tant ses recettes de cuisine que ses cours. Le 23 novembre dernier, elle a exprimé son mécontentement à ses abonnés grâce à une story Instagram. En effet, depuis le 12 mars 2020, elle n’a pas eu une seule fois cours en présentiel sur le campus marseillais. Et pourtant, elle paye toujours 12 950€ l’année scolaire pour des enseignements, désormais, uniquement en distanciel. À peine quelques heures après avoir posté sa story, l’administration de son école lui téléphone. Un ultimatum est imposé : soit elle supprime la story et ne réitère plus ce type d’interventions, soit son master ne sera pas validé. Coup de massue pour cette jeune femme qui a fait un prêt étudiant pour financer ses études. Et elle est loin d’être la seule.

Des promesses non tenues

Selon le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, près de 333 écoles de commerce accueillent, chaque année en France, 187 000 étudiants. Ils sont formés aux métiers du commerce, de la gestion et de la vente. Ces différentes formations sont sélectives tant par un concours que par les frais de scolarité. Il faut débourser de 8000€ à plus de 16 000€ pour une année scolaire. Nombreux sont les étudiants qui ont recours à un prêt, espérant le rembourser facilement en devenant cadre. Si ces frais de scolarité paraissaient quelque peu exorbitants pour étudier en France, les écoles de commerce se défendaient d’une formation d’élite. Contacts professionnels, campus haut de gamme, voyages à l’étranger, week-end d’intégration hors norme… Des arguments qui attirent les jeunes. Cependant, depuis la fermeture obligatoire des établissements d’enseignement supérieur à la mi-mars 2020, ces perspectives ne sont plus envisageables. Les écoles de commerce se sont donc adaptées pour permettre aux étudiants d’obtenir leurs diplômes. Nouvelles plateformes, cours en visio-conférence, partiels à distance. Au vu de la situation sanitaire, dès juin 2020, les différentes écoles ont annoncé que la rentrée scolaire 2020 serait digitale. Une mesure relativement raisonnable pour protéger les étudiants et les dispenser de louer un logement. Néanmoins, une seule chose a été inchangée : les frais de scolarité. Aucune école de commerce n’a décidé de baisser ses frais de scolarité malgré des enseignements totalement en ligne. Les étudiants ont tenté de modifier cette décision, en vain. 

« Ils ont utilisé l’horloge pour que le mécontentement s’estompe »

« Il y a eu une volonté d’éviter la négociation. Les standards téléphoniques ne répondaient plus lorsqu’on voulait avoir des informations concernant les frais de scolarité. Les responsables ne répondaient plus non plus. », raconte Thibault, élève en master 1 à Skema. Il étudie au campus de Sophia Antipolis depuis trois ans. « L’administration nous a répondu qu’il était impossible d’ouvrir la négociation avec nous parce que nous n’avions pas nommé de représentant et que, de ce fait, ils ne pouvaient s’adresser à nous tous. Et c’était ça tout le temps. L’impression que cela m’a laissé c’est qu’ils ont utilisé l’horloge pour que le mécontentement s’estompe. », poursuit-il. Ce jeune homme de 23 ans est déçu. Il a connu le campus, les réseaux, le networking, les job dating. Mais, aujourd’hui, plus rien. Il a déboursé 14 000€ cette année pour avoir uniquement accès à des outils numériques. Julie*, étudiante en troisième année de licence sur le même campus, confirme ce manque de compréhension : « Lorsque nous avons fait peser la menace de la médiatisation pour obtenir de Skema une baisse des frais de scolarité, l’administration a répondu qu’ils fermeraient l’accès à notre plateforme où nous avons accès à tous nos cours. » 

L’administration de Skema n’a pas souhaité répondre à ces accusations. En revanche, Alice Ghuillon, doyenne de Skema et présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE), a affirmé à de nombreuses reprises son point de vue. À travers différents articles, elle a prôné le « No favor ». Cet argument, assez compréhensible par son appellation, souhaite le maintien total des frais de scolarité. Par ailleurs, une association d’alumni (anciens élèves d’écoles de commerce) a fait un appel aux dons auprès des étudiants pour les autres étudiants plus précaires. Une initiative originale. « C’est à Skema de prendre soin des élèves et pas aux élèves de faire des dons », affirme Julie.

« Nous payons plus cher pour des cours de moins bonne qualité »

Les étudiants d’école de commerce ont décidé de faire front, ensemble. Le 25 novembre 2020, plus de 20 000 signataires se sont rassemblés pour une pétition intra-écoles. Ils ont choisi de s’opposer au maintien des frais de scolarité, voire à la hausse de ces derniers. « Nous payons plus cher que nos prédécesseurs pour des cours de moins bonne qualité », affirment les signataires de la pétition. En effet, certaines écoles ont augmenté leurs frais de scolarité pour l’année scolaire 2020/2021. HEC a effectué une hausse  de 800€ (16 640€ l’année), l’Essec de 500€ (15 767€ l’année), Neoma de 1000€ (13 500€ l’année) ou encore l’EM Lyon de 1200€ (15 900€ l’année). Les écoles ont défendu leur décision en affirmant que la mise en place du distanciel était plus coûteuse que les cours en présentiel. Une digitalisation hors de prix.

« Les écoles doivent continuer à payer les frais de structure et d’entretien des locaux des écoles, les professeurs, les nouveaux outils informatiques donc les étudiants ne peuvent pas être dispensés des frais ou obtenir une réduction sur leurs frais. Voilà ce que nous a répondu l’administration », souligne Florent*, étudiant en master 1 à l’EM Grenoble. « Ça fait grincer tout le monde des dents, surtout qu’il n’y a aucune exception : il n’y a pas d’école qui a fait un geste financièrement pour les étudiants. Le jour où une école fera le premier pas et pourra servir d’exemple, là les autres vont recevoir une pression démentielle pour suivre le pas. Mais encore une fois, tant qu’elles n’y sont pas contraintes, le système en place perdurera » poursuit-il. Tout comme les étudiants, les écoles ont décidé de faire front ensemble. Et elles sont bien plus puissantes. Anaëlle*, camarade de Florent à l’EM Grenoble, le raconte : « C’est très difficile de faire tomber des grandes écoles. On ne voit pas vraiment comment on pourrait faire, surtout qu’elles peuvent être tyranniques. En juin dernier, je me suis amusée du budget alloué aux nouvelles poubelles du campus sur l’intranet de l’école. J’ai été convoquée : ils m’ont menacé de m’expulser. » Les écoles de commerce ne semblent pas apprécier les avis divergents. « Les administrations nous instaurent une pression. Elles savent qu’elles peuvent nous empêcher d’être diplômés ou même d’obtenir un contrat. Elles profitent de cela en cherchant constamment à nous faire peur », déclare Hugo, étudiant en master 2 à l’Edhec. Les administrations de ces deux écoles n’ont pas souhaité répondre à nos sollicitations. 

Des étudiants qui manquent de défense

Les étudiants en écoles de commerce sont dépourvus de syndicats. En effet, les seules instances pouvant défendre leurs droits et leurs revendications sont les bureaux des élèves, plus communément appelés BDE. Ils sont dirigés par les élèves mais financés directement par les administrations des écoles. Ils permettent d’organiser des événements : soirées, week-end, voyages. Ils font le lien entre écoles et étudiants. Le financement limite forcément les ambitions des BDE. Cependant, n’ayant aucun syndicat, les BDE endossent parfois ce rôle. Ils cherchent à défendre les revendications des étudiants. Mais cela est rarement concluant. Les écoles ne souhaitent pas être dirigées par les BDE. « L’administration à laquelle nous nous sommes heurtés en janvier dernier était réellement intransigeante. Aucune concession n’était concevable », se souvient Aurélie, membre du BDE à Rennes business school. Les BDE ne sont pas toujours plus écoutés que les étudiants.  

Néanmoins, dans certaines écoles, la situation est parfois plus positive. Chloé, membre du BDE à Toulouse business school (TBS), le raconte : « Il y aura toujours des désaccords entre les étudiants et l’école. C’est tout à fait normal. Mais à TBS, il n’y a pas de problèmes majeurs. L’administration reste très à l’écoute de ses étudiants. » Une opinion quelque peu détonante. L’école toulousaine confirme cette version des faits : « TBS a organisé des réunions de concertation avec les programmes et les étudiants. Leurs objectifs sont de dialoguer et de co-construire des solutions. La direction de l’école est plus que jamais mobilisée aux côtés de ses étudiants et des professeurs. » Cette école a, en effet, décidé il y a quelques jours de moduler les frais de scolarité en fonction des revenus des familles. Cela signifie qu’au lieu que tous les étudiants déboursent 14 000€ pour une année scolaire, cinq tranches tarifaires dégressives seront instaurées pour plus d’égalité. « L’Ecole a également levé des fonds via sa fondation pour accompagner au mieux ses étudiants en situation de difficulté financière. La Business School a ainsi distribué 65 000 euros à ses étudiants les plus nécessiteux », affirme Célia Baroin, chargée de communication et des relations presse à TBS. Les discussions entre le BDE et l’administration pour défendre les revendications étudiantes ont été utiles et fructueuses au sein de cette école.

Malgré cette première victoire pour les étudiants de TBS, toutes les autres écoles ne semblent pas encore prêtes à écouter leurs élèves. Menaces, intimidations et expulsions sont ordinaires. De plus, en finançant les BDE et en interdisant tout syndicat, les élèves ne sont que davantage dépendants à leurs écoles. À l’heure actuelle, aucune école n’a baissé ses frais de scolarité ou même remboursé partiellement des étudiants après plus d’un an de cours digitaux. En revanche, certains élèves ont été exclus suite à leurs revendications allant à l’encontre de la dynamique de leurs écoles.

Article rédigé par Artoise Bastelica et Suzanne Zeller.

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